In Memoriam

Michel Rouvière s’est éteint à l’âge de 83 ans à Vinezac, en novembre 2016.

Il avait rejoint notre association dès sa création, en 1976, après avoir lu l’annonce présentant nos objectifs et nos projets dans un journal spécialisé, L’information archéologique, car l’archéologie était l’un de ses premiers centres d’intérêt.

Michel n’avait pas fait de longues études et, après avoir quitté l’école, il avait été employé agricole sur la propriété de ses parents à Vinezac jusqu’à l’âge de 22 ans. S’il n’avait eu d’autre ambition, il aurait sans doute pris leur suite… Mais, après son service militaire, et bien que cela lui soit un crèvecœur, il avait choisi « monter à Paris » pour un emploi plus rémunérateur où, bien qu’il s’épanouisse dans son travail, il se sentait exilé loin de l’Ardèche. Dès qu’il avait quelques jours de congé, il y revenait arpentant en tous sens vignes et garrigues, à la recherche de vestiges archéologiques et de traces du passé. C’est ainsi qu’il en vint à localiser, sur les communes de Vinezac et de Lachapelle, plusieurs stations néolithiques dont il publia le mobilier dans la revue de la S.E.R.A.H.V. (Société d’Etudes et de Recherches Archéologiques et Historiques de Vagnas)1. Je me souviens en particulier avec quelle fierté il m’avait montré, lors d’une ne nos premières rencontres, une pièce splendide qu’il avait exhumée dans une vigne après la pluie : une magnifique pointe de flèche en silex blond2.

1 « Le gisement néolithique de Veyras – La Chapelle s/Aubenas » in : Bull. S.E.R.A.H.V. n°10, avril 1976, pp. 13-16.
2 Je sais qu’il a par la suite confié toutes ses trouvailles au Musée de la Préhistoire d’Orgnac (actuelle Cité de la Préhistoire).

Ayant décidé de revenir coûte que coûte sur sa terre natale, son épouse Ginette et lui avaient acheté une ruine qu’ils passèrent des années à rendre habitable. A force de travail - car Michel était un travailleur acharné - il sut redonner à cette maison une nouvelle jeunesse, y apportant tout le confort, tout en lui conservant son caractère cévenol. Ils y vécurent encore de longues et belles années, y recevant toujours, avec un formidable sens de l’hospitalité, leur famille, leurs amis mais aussi tous ceux qui partageaient les nombreuses passions de Michel.

Réapprenant peu à peu de ses mains le geste de ses ancêtres « paysans-bâtisseurs » (terme qu’il a contribué à imposer), travail de la terre et de la pierre, relevant les faïsses3, les capitelles4 et les murs écroulés, il tailla et recépa les vieux oliviers gelés par le terrible hiver de 1956 qui entouraient sa maison, en plantant de nouveaux, s’essayant à retrouver et identifier les anciennes variétés, jusqu’à faire de son domaine l’une des plus belles olivaies de Vinezac.

3 Terrasses de culture en pierre sèche.
4 Cabannes en pierre sèche. On peut indifféremment dire un ou une capitelle.

Mais, bien qu’autodidacte, ses talents s’exercèrent aussi dans le domaine intellectuel et il se mit à étudier, relever et transcrire toutes les formes de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler l’archéologie agraire ou l’architecture vernaculaire dont il devint l’un des spécialistes reconnus.

En 1979, Michel Rouvière publiait dans la revue L’architecture rurale (devenue plus tard L’architecture vernaculaire) un article fondateur intitulé « L’aménagement des terrasses agricoles dans la région de Vinezac (Ardèche) », qui ouvrit la voie à l’étude des terrasses agricoles, alors peu étudiées. L’engouement suscité par le sujet entraîna en effet la publication de nombreuses autres contributions, articles, livres et même thèses5.

5 Par exemple : Adrienne DURAND-TULLOU (1980), Jean-François BLANC (1984), Philippe BLANCHEMANCHE (1986 et 1991), Pierre FRAPA et Sébastien GIORGIS (1987 et 1989), Régis AMBROISE (1989), etc.

Ayant rejoint le professeur Christian Lassure, qui avait créé, en 1978, le CERAR (Centre d'études et de recherches sur l'architecture rurale, devenu CERAV), association dont l’objet était l’étude et la sauvegarde des témoins d'architecture vernaculaire légués par les siècles passés - et en particulier les constructions en pierre sèche - aussi bien en France qu'à l'étranger, il y contribua pendant une 40e d’années.

Avec lui, notre association a parcouru l’Ardèche en tous sens, découvrant les anciens chemins, les dolmens, relevant des murs, érigeant même en août 1978, sur la propriété de M. Firmin Roche, à Lablachère, lors d’un 2ème stage organisé dans le cadre du C.E.F.R.A. (Centre d’Etudes et de Formation Rurales Appliquées), une capitelle neuve dont il dirigea la construction. C’est au cours de ces mêmes stages qu’il fit ses premières armes hésitantes de conférencier.   

En 1986, il signait et illustrait, de son dessin élégant et précis, notre premier Cahier consacré à l’architecture rurale du Bas-Vivarais6. Voici comment nous présentions alors sa collaboration :

Notre premier auteur, Michel Rouvière, est bien connu de nos adhérents pour avoir animé plusieurs stages et de nombreuses visites à travers les « grads » où poussent, comme ailleurs les cèpes, les « capitelles », les « parets7 » et autres « grangeons ».

Enfant de Vinezac, il a dû, comme beaucoup, quitter l’Ardèche pour aller « gagner sa vie » dans la région parisienne. Mais, sa vie, elle est à Vinezac, où il revient fidèlement, dès qu’il le peut.

C’est avec l’archéologie de son village natal qu’il a commencé ses recherches. Puis celles-ci l’ont conduit à étudier les capitelles, nombreuses autour de Vinezac, et les anciennes structures agraires, dont il est devenu l’un des meilleurs spécialistes pour notre région et l’un des plus ardents défenseurs.8

Plusieurs fois nous l’avions relancé pour qu’il prépare une réédition mise à jour de cette publication, qui a eu beaucoup de succès, mais chaque fois, toujours pris par de nouveaux enthousiasmes, de nouvelles recherches, il avait remis ce projet à plus tard car il voulait pouvoir y intégrer ses nouvelles connaissances, toujours en évolution…

6 Michel ROUVIERE – « L’architecture rurale du Bas-Vivarais » - Les Cahiers de Cévennes Terre de Lumière. N°1/1986.
7 Murs de pierre sèche.
8 Introduction de Roland COMTE au Cahier de Cévennes Terre de Lumière, n°1, 1986 (op. cit.)

L’amitié qui nous liait a duré plus de 20 ans. Elle fut sans nuage jusqu’aux années 2000, où une brouille stupide a entraîné sa séparation d’avec notre association. Nous en avons beaucoup souffert et nous ne doutons pas qu’il en ait souffert lui aussi. C’est pourquoi, nous préférons nous souvenir de lui à travers l’un des poèmes qui ouvrait « L’architecture rurale du Bas-Vivarais » :

J’ai conquis le lucide

Et oublié l’absurde

Michel Rouvière Extrait d’un poème publié dans l’introduction du Cahier de Cévennes Terre de Lumière consacré à « l’Architecture rurale du Bas-Vivarais » (1986)

Car, parallèlement à toutes ses recherches, Michel dessinait et sculptait la pierre et écrivait des poèmes, une autre de ses passions…

Parmi toutes les poésies qu’il a écrites, nous retiendrons celle-ci qui nous semble si bien résumer son parcours et sa quête…

Fils quitte

Ton attache de pierre

Pars trouer le soleil

Ou pourfendre la nuit

Fils quitte

Le sillon où la terre s’écoule

Entre deux décisions

En attente de pluie

Fils reviens

Aux granges reliquaires

Où ulcérées de rouille

S’éteignent les araires. 

Michel Rouvière Il est trop tard

 Roland COMTE, président-fondateur de l’association Cévennes Terre de Lumière

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