Au fil de l'eau à la découverte des micro-centrales de la vallée de la Bourges (Saint-Pierre-de-Colombier, Burzet)
Journées européennes du Patrimoine - 22 septembre 2002
Ce dimanche ensoleillé se prêtait remarquablement bien au programme de cette journée consacrée à la découverte d'un patrimoine très discret de nos vallées Cévenoles. L'AIHBA ( Avenir et Intérêts Hydrauliques du Bassin de l'Ardèche) était l'association organisatrice de cette journée de découverte, à la demande de CTL (association : Cévennes Terre de Lumière). Le grand point d'interrogation : aurons-nous 10 ou 200 visiteurs ? ? ? Question primordiale pour gérer correctement la visite.
Finalement, ce furent 40 personnes, curieuses et intéressées, qui se sont présentées ce matin-là au lieu dit Aulueyres, au confluent de la Bourges et de la Fontaulière. Le comité d'accueil de l'AIHBA était présent pour recevoir ces visiteurs et les guider tout au long de cette journée et des berges de la rivière Bourges ( les trois quarts de ces visiteurs étaient membres de CTL ). Avant de créer des groupes, René Vernet, président fondateur de l'AIHBA, a présenté rapidement notre association qui regroupe les usagers de l'eau à des fins économiques. Sont concernés les « turbiniers » qui utilisent l'énergie hydraulique des rivières et notamment les exploitants de micro-centrales, mais aussi des utilisateurs de béalières à des fins agricoles. Notre action s'étend sur le bassin de la rivière Ardèche et de ses affluents. Cette ouverture exceptionnelle au public a pour but de montrer les liens très serrés qui nous unissent à notre environnement naturel et au patrimoine dont nous sommes le prolongement moderne.
Le site d'Aulueyres, par lequel débutait la visite, est exemplaire pour expliquer l'évolution du développement économique de nos cours d'eau. En effet, au XIVe siècle (et sans doute bien avant) l'eau de la Fontaulière faisait tourner les moulins à farine, à huile et les foulons à chanvre installés en ce lieu ; lieu particulièrement stratégique au carrefour des vallées et des routes, à tel point que les seigneurs de Montlaur, implantés à Montpezat, y avaient établi une maison forte qui défendait, non seulement leurs moulins, mais aussi l'accès de leur territoire. Plus tard, sous l'impulsion de dame Françoise Maty de Praneuf, propriétaire d'Aulueyres au XVIIIe siècle, une filature de soie est rajoutée aux moulins vers 1740 ; le domaine fut alors couvert de mûriers, un nouveau bâtiment s'éleva pour abriter vers à soie, filature et moulinage, avec une roue hydraulique pour entraîner les machines nécessaires. Au cours du XIXe siècle, qui vit l'explosion de l'industrie du moulinage en Ardèche, Aulueyres, sous l'impulsion des frères Plantevin alors gérants de cette fabrique, a su bénéficier de cette évolution en se modernisant, mais aussi en se spécialisant par abandon progressif des vers à soie, de la filature et de la meunerie au profit du seul moulinage ; évolution qui fut possible grâce aux droits d'eau transmis depuis plus de six siècles et à l'énergie hydraulique disponible qui en découlait. Vinrent les secousses économiques créées par les deux guerres mondiales du siècle dernier et la délocalisation de l'industrie textile vers les pays du tiers monde qui ruinèrent la plupart des moulinages ardéchois, trop petits, trop difficiles d'accès dans leurs fonds de vallées et malgré tout soumis aux lois de plus en plus sévères du travail et du marché. Aulueyres fut victime de ce déclin économique et le moulinage ferma ses portes en 1973. Ne restaient que des droits d'eau, une installation hydraulique modeste, mais encore opérationnelle, bien que les turbines accusent 76 ans de bons et loyaux services. Le site fut donc reconverti en micro-centrale hydroélectrique pour délivrer au réseau national l'infime puissance de 35 kw.
Cette évolution fut, à peu de chose près, identique à celle des 3 autres micro-centrales visitées à Saint-Pierre de Colombier et à Burzet au cours de cette journée : au Cayrou, chez René Vernet - à la Pause, chez Maurice Audigier - à Pervérenge, chez Jean-Marie Chambouleyron. Cette reconversion en micro-centrales a son importance dans la mesure où elle permet aux propriétaires de rester au pays, d'entretenir autant que possible le patrimoine hydraulique inscrit dans le paysage de nos vallées depuis des siècles et aussi de faire travailler de nombreux artisans locaux pour l'entretien de ce patrimoine.
La visite détaillée de ces installations a permis de sensibiliser les visiteurs aux problèmes auxquels sont confrontés les exploitants, ces problèmes pouvant venir des rivières qui parfois se déchaînent, mais aussi des administrations de tutelle et des autres usagers de l'eau dont beaucoup voudraient voir réduire nos droits jusqu'à l'étouffement.
Le repas de midi tiré des sacs était organisé à Aulueyres dans un jardin abrité et ensoleillé ; il fut précédé d'un apéritif offert par l'AIHBA ; cette pause de mi-journée fut aussi l'occasion d'échanges enrichissants entre tous les participants et avec les « turbiniers » présents. Lorsque chacun a repris la route le soir vers 18 h, les organisateurs ont senti que leur message avait été vraiment compris et apprécié.
A refaire ! ! ! - telle est leur conclusion.
- Texte et photographies de Félix Plantevin -