Défiguré par les travaux de construction d'une passerelle

Le pont de Mayres, une des plus belles réalisations de la "Route d'Auvergne" ouverte au XVIIIe siècle, défiguré par les travaux de construction d'une passerelle. (février 2002)

Outre la lettre envoyée au Préfet de l'Ardèche par le Président de Cévennes Terre de Lumière et une photographie de l'état des lieux en février 2002, on trouvera ici quelques extraits d'un texte de l'abbé Chabannes qui, à partir de documents d'archives, retrace l'histoire de la conception et de la réalisation de cette Route d'Auvergne, notamment dans sa partie dite Côte de Mayres.

Aubenas, 18 février 2002

Monsieur le Préfet de l'Ardèche

Objet : Sauvegarde du patrimoine

Monsieur le Préfet,

Mon attention vient d'être attirée par un de nos adhérents sur les travaux en cours au pont de Mayres.

L'émotion que ces travaux suscitent me paraît tout à fait légitime. En effet, les travaux en cours sont en train de défigurer cet ouvrage d'art : l'enlèvement du parapet de pierres sur sa partie aval, sur environ 17 mètres de long, pour donner accès à une passerelle pour piétons (qui nous semblerait avoir été plus judicieusement placée, ne serait-ce que pour des questions de sécurité, en amont du pont) pourrait être évité, du moins sur une aussi grande longueur.

Le pont de Mayres n'est pas classé ni inscrit au titre des Monuments Historiques, ce qui est malheureusement le cas de la plupart des ouvrages d'art. Ce n'est pas pour autant qu'il doive être défiguré. Il a été en effet l'une des plus belles réalisations de la route d'Auvergne, ouverte au XVIIIe siècle à l'initiative des Etats du Languedoc, avec le soutien du roi Louis XV entre 1716 et 1780. Le pont de Mayres, qui a vaillamment résisté à près de trois cents ans d'histoire, mérite, nous semble-t-il, un meilleur sort.

C'est pourquoi, en tant que président de l'association Cévennes Terre de Lumière, membre permanent de la Commission départementale des sites, perspectives et paysages, je vous prie de bien vouloir intervenir auprès du maître d'ouvrage pour que les travaux en cours tiennent davantage compte de la qualité architecturale de cet ouvrage historique.

Dans cette attente et en espérant que cette demande retiendra toute votre attention, je vous prie d'agréer, Monsieur le Préfet, l'expression de ma haute considération.

P.J.

  • Extrait de la monographie de l'abbé N. Chabannes consacrée à Mayres. Largentière, impr. Humbert, 1976 (pp. 91-99)
  • autres documents.

Copies :

  • M. l'Architecte des Bâtiments de France
  • M. le Directeur Régional des Affaires Culturelles
  • M. le Président de la Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de l'Ardèche
  • M. le Président de Mémoire d'Ardèche et Temps Présent
  • M. Michel GINHOUX
  • M. Michel ROUVIERE
  • M. Jean PRAT, vice-président, membre de la Commission des Sites, représentant Cévennes Terre de Lumière
  • M. Jacques DUGRENOT, administrateur, suppléant à la Commission des sites
Roland COMTE, président

Quelques extraits du texte de l'abbé Chabannes (Aux sources de l'Ardèche, Mayres. Monographie. Largentière : Imp. Humbert, 1976.)

[...] Dès l'année 1716, le roi donna l'ordre d'ouvrir une grande route de communication entre le Bas-Languedoc, l'Auvergne et Paris.

Cet ordre fut rapidement exécuté pour la partie située en Auvergne, commençant à Fix, sur les frontières du Velay et se terminant à Clermont. Mais son exécution souffrit plus de difficultés pour la partie du Languedoc. Des intérêts publics et privés entrèrent en jeu. Sans doute tout le monde considérait la ville de Montpellier et celle de Clermont comme les deux termes extrêmes de cette route, et celle d'Alais et du Puy comme les deux points principaux intermédiaires. Mais décider si pour aller du Puy à Alais on suivrait le Gévaudan ou le Vivarais restait la difficulté.

[...]

En 1748, le roi demanda aux États du Languedoc de contribuer au percement de la route d'Auvergne pour 500 000 livres, en huit années consécutives, à raison de 62 500 livres par an : le roi fournira le surplus. En même temps, Sa Majesté enjoint au sieur Pollard, ingénieur des Ponts et Chaussées, de vérifier s'il vaut mieux faire la route par Villefort et Langogne en Gévaudan, ou bien passer par la côte de Mayres et Aubenas en Vivarais.

Le sieur Pollard vérifia en conséquence l'un et l'autre tracé « et après une exacte attention, donna la préférence à celui du Vivarès.

[...]

La levée des plans et devis demandèrent dix ans et ce n'est qu'en 1759 que le sieur Gendrier, présenta son projet. Il résulte de son travail de comparaison sur la dépense des deux routes que celle par le Vivarais, plus courte, coûtera beaucoup moins.

Le roi se décida pour le tracé du Vivarais.

Au rapport des ingénieurs « cette route doit abréger de 30 lieues le transport des marchandises de Languedoc et de Provence à Paris. Elle passe, en partant d'Alais, par Saint-Ambroix, Joyeuse, Aubenas, Tuech*(NDLR: Thueyts), Saint-Martin-de-Mayres, Peyrabeille, la Salvetat et le Puy.

  • D'Alais à Aubenas, onze lieues et demi ;
  • D'Aubenas à Saint-Martin-de-Mayres, quatre lieues et demi ;
  • De Saint-Martin-de-Mayres à La Chavade, deux lieues, appelées la Côte de Mayres ;

[...].

En 1764, fut mise en adjudication la Côte de Mayres sur 6054 toises de longueur, depuis le village de Saint-Martin-de-Mayres jusqu'à la Chavade. Cette côte comprend 27 ponts ou ponceaux.

[...]

La dépense totale du pont et de ses avenues s'éleva à la somme de 191 344 francs : le pont seul coûta 64 000 livres ou francs.

[...]

Abbé Chabannes Aux sources de l'Ardèche, Mayres. Monographie. Largentière : Imp. Humbert, 1976

L'abbé Chabannes présente ensuite quelques extraits du devis d'un pont, qui nous renseigne en détail sur son mode de construction. Il s'agit du pont de la Motte, qui est situé à quelques kilomètres seulement en aval de celui de Mayres et relève certainement des mêmes techniques de réalisation que lui.

Le pont aura dix-neuf toises de long, y compris les deux culées qui auront chacune trois toises trois pieds d'épaisseur, il sera composé d'une seule arche surbaissée de douze toises d'ouverture.

Les pierres seront prises aux carrières de Farges et à celle de Cotet, ces dernières seront employées à la fondation jusqu'à l'arasement du second socle et dans l'intérieur de la voûte et de ses pieds droits, et celles de Farges aux voussoirs de teste, aux faces du pont et généralement à tout le reste des ouvrages ; les unes et les autres seront choisies aux dites carrières et de la meilleure qualité, sans poils ni moijes qui les traversent, elles seront proprement taillées dans leurs parements et dans leurs lits, et les joints seront bien dressés à la règle et l'équerre auxdits parements et les arestes relevées entre deux ciselures : et comme celle de Farges se trouve d'une qualité plus facile à tailler que celle de Cotet, elle sera proprement mise en oeuvre au marteau taillant. Toutes les pierres seront posées sur leur lit de carrière et sur une couche de mortier fin et liquide et leurs joints seront bien coulés, fichés et jointoyés avec le même mortier et ensuite garnis avec du ciment fait avec de la bonne chaux maigre, et pareille quantité de la poudre de tuileau, après avoir été au préalable dégradés d'un pouce de profondeur, etc.

[...]

La maçonnerie serait faite à chaux et à sable et le mortier qui y sera employé sera composé de deux cinqièmes de chaux maigre et trois cinquièmes de sable bien grainé et passé à la claye.

[...]

La chaux sera prise à Aubenas, les bois du cintre seront sains, secs et sans aubié, etc.

Abbé Chabannes

En 1780, tous les travaux de la route d'Auvergne, et en particulier de la côte de Mayres, sont achevés ou à peu près, comme le constate le rapport de M. Grangent, directeur des travaux publics de la province.

Les travaux de la côte de Mayres exigèrent quinze ans, de 1764 à 1780, le double de ce qui avait été prévu.

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